En France, de plus en plus d’hôpitaux font rentrer dans leurs protocoles de soin des médecines naturelles pour guérir ou améliorer le bien-être des patients. Exemple à l’hôpital de Pitié-Salpêtrière qui mène actuellement des recherches cliniques prometteuses.
En 2009, le professeur Alain Baumelou a été chargé par l’AP-HP (Assistance publique-Hôpitaux de Paris) de développer les médecines non conventionnelles au sein de l’hôpital Pitié-Salpêtrière dans 13e arrondissement à Paris. Il a décidé de s’intéresser à un domaine en particulier. Par intérêt personnel et parce que l’acupuncture était déjà une pratique utilisée à la Pitié, il a décidé d’étudier la médecine traditionnelle chinoise. Il voulait, en plus de l’acupuncture, «développer les techniques corps et esprit, en particulier le Tai chi et le Qi gong », qu’il qualifie de « méditation active ». Le Tai chi, comme le Qi gong, sont basés sur la répétition de mouvements qui demandent une pleine conscience et une pleine concentration, tout en alliant exercices respiratoires. Ils ont tous les deux pour but d’agir sur « l’énergie vitale ». Le Qi gong est, comme l’explique le Pr Baumelou à ses étudiants : « une gymnastique traditionnelle chinoise et une science de la respiration », tandis que le Tai chi est « à la fois une gymnastique de santé et un art martial chinois ».
Le Pr Baumelou se décrit comme un médecin-néphrologue « tout ce qu’il y a de plus conventionnel ». Il reconnaît n’avoir qu’une connaissance « purement théorique » de ces pratiques, mais il a choisi de « favoriser le travail des personnes compétentes dans les techniques corps-esprit, dans la méditation et l’acupuncture». Il est persuadé que la médecine intégrative, qui consiste à intégrer des médecines complémentaires à la médecine classique, est la médecine de demain.
L’objectif de la création de ce centre de médecine chinoise est la recherche clinique
Des programmes d’évaluation sont développés notamment « en gynécologie obstétrique, avec une sage-femme qui travaille en acupuncture », ou « en addictologie, sur les sevrages d’alcool ». Même s’il ne s’agit encore que d’ « évaluation » – les techniques de soin ne seront développées que dans une deuxième étape –, il existe tout de même des domaines de traitement. Cependant, ces soins sont réservés aux patients qui sont hospitalisés au sein de la Pitié-Salpêtrière, l’hôpital n’acceptant pas encore de demandes externes, même si la demande est forte.
« En gynécologie-obstétrique, dans le domaine du métabolisme, de l’obésité, en neurologie, en neuro-oncologie, ces techniques ont un effet sur la qualité de vie des patients », explique le professeur Baumelou. Ces approches thérapeutiques ont un effet sur « le mieux vivre avec sa maladie ». En gynécologie-obstétrique, elles agissent sur la douleur, en cancérologie sur la fatigue. C’est d’ailleurs « l’objectif principal », affirme le responsable du centre de médecine traditionnelle chinoise intégrée de la Pitié-Salpêtrière : « La satisfaction du patient, la sensation de bien-être, tout ce qui fait partie de la définition de la santé de l’OMS », cela ne modifie pas l’évolution de la maladie. Même si cet impact sur la douleur, la fatigue, la qualité de vie est une manière de guérir. « Aller bien avec une maladie chronique, c’est une forme de guérison. »
Des techniques qui permettraient de réduire la prise d’antidouleurs ?
Le mieux-être est démontré dans de nombreux essais cliniques. « C’est possiblement, à terme, une piste très sérieuse pour une moindre consommation d’antidouleurs », explique le Pr Baumelou qui ajoute : «Dans un grand nombre de maladies chroniques, comme c’est un élément qui favorise le bien-être, qui diminue la sensation de fatigue, il a un effet naturellement antalgique. »
Seulement, il demeure un problème structurel : « Dans l’état actuel des choses, ce n’est pris en charge ni par la Sécurité sociale, ni par la grande majorité des mutuelles. » Le bénéfice de recourir à ces pratiques revient actuellement à l’État mais pas du tout aux patients.
Former les jeunes générations aux médecines complémentaires
La démarche qui consiste à pratiquer la médecine intégrative, comme à la Pitié-Salpêtrière, est encouragée par l’OMS et se développe dans tous les pays du monde. La France, à l’image de la faible prise en charge de ces pratiques de santé, n’est pas en avance sur ces sujets.
Ce qu’il faut, selon le Pr Baumelou, « c’est enseigner aux plus jeunes, c’est-à-dire aux étudiants de deuxième année de médecine cycle médical, à ouvrir leur esprit à ces médecines complémentaires ». Il imagine ainsi que, dans 10 ou 15 ans, on assistera vraiment à un développement de la recherche clinique en France et à l’intégration de ces pratiques.
Les freins au développement de ces méthodes
D’une part, « le financement de la recherche sur ces méthodes est très faible », explique le Pr Baumelou. « Quand vous travaillez sur un médicament, vous avez derrière le financement d’une recherche clinique d’un laboratoire privé alors que là vous n’avez que quelques subventions, essentiellement sous la forme de programmes hospitaliers de recherche clinique, comme le nôtre. »
D’autre part, l’évolution est très lente. Mais « ce n’est pas forcément un défaut que ce ne soit pas trop rapide », explique le Pr Baumelou, « sinon vous vous confrontez aux réticences encore très fortes du corps médical ».
Le postulat selon lequel ces techniques et thérapies (acupunctures et techniques « corps-esprit ») « se fondent sur les possibles interactions entre l’esprit, l’humeur, le corps et le comportement, avec l’objectif d’utiliser l’esprit pour modifier le fonctionnement physique et promouvoir la santé » souffre d’un manque d’évidences fondées sur des preuves scientifiques.
Ce qui expliquerait pourquoi beaucoup de médecins sont encore réfractaires, même s’il existe « un certain nombre d’indications cliniques fortes où la démonstration de l’efficacité a été faite », comme ceux énoncés précédemment concernant la douleur ou « dans un certain nombre de maladies neurologiques et dans le domaine hémato-cancérologique ».
Le Pr Baumelou reste optimiste : « Il existe des documents cliniques qui permettent d’appuyer le concept de médecine complémentaire à côté de la médecine conventionnelle, c’est dans ces domaines-là qu’il faut travailler pour développer un peu plus rapidement cette complémentarité. »
D’autres centres hospitalo-universitaires s’intéressent également à ces médecines complémentaires, à Lille, à Strasbourg, à Lyon, à Montpellier, à Nice et à Bordeaux. Pour le moment, ils ne travaillent pas en réseau, mais c’est le signe d’une appétence et d’un intérêt croissant des malades et des médecins pour les médecines non conventionnelles, en l’occurrence la médecine chinoise.